15/ Peinture et sculpture au 20e siècle

Peinture

Les expositions d’artistes étrangers en Belgique vont marquer profondément l’évolution de l’art qui va s’y pratiquer ensuite, de même que les contacts noués par les peintres belges en dehors de leur pays {Leclercq (J), L’art en Belgique depuis 1830. De la tradition à l’éclatement, article destiné à paraître en allemand dans un volume de Ringvorlesungen, Köln, dme-Verlag, 1987 (Kölner Schriften zur Romanischen Kultur)}.

Le fauvisme

Ce terme de “fauvisme” a pour origine un mot d’un critique d’art, lors d’une exposition à Paris en 1905 présentant les œuvres de différents peintres français de l’époque parmi lesquels Matisse, Vlaminck et Derain.

Les principales caractéristiques de la tendance fauviste vont être l’usage de couleurs pures, vives, la simplification systématique des formes. Les toiles fauvistes sont des “explosions” de couleurs.

En Belgique, c’est dans le Brabant que ce mouvement va principalement être présent. On va ainsi, généralement, parler de “fauvisme brabançon“. Il va se développer essentiellement entre 1906 et 1917 (l’attrait pour les couleurs pures s’atténuant à partir de ce moment-là).

Ce qui caractérise les peintres fauvistes, dans l’ensemble, c’est un profond amour de la vie, la recherche d’une beauté tangible. Les thèmes représentés sont des jardins inondés de soleil et peuplés de personnages heureux, des paysages harmonieux, des scènes d’intérieur où l’intimisme familier diffuse un climat de sécurité et de bien-être {Goyens de Heusch (S), L’impressionnisme et le fauvisme en Belgique, catalogue de l’exposition au Musée d’Ixelles, 1990, p. 229}.

Les couleurs sont chaleureuses. Le fauvisme traduit une conception hédoniste de la vie qui s’exprime essentiellement par l’exubérance des coloris {Leclercq (J), L’art en Belgique depuis 1830. De la tradition à l’éclatement, article destiné à paraître en allemand dans un volume de Ringvorlesungen, Köln, dme-Verlag, 1987 (Kölner Schriften zur Romanischen Kultur)}.

Ferdinand Schirren (1872-1944)

Ferdinand Schirren va être sans doute le premier, en Belgique, à saisir les possibilités inédites que procure la simplification expressive de la forme et de la couleur. Ses premières aquarelles fauves remontent à 1906. L’immédiate maturité de son fauvisme va guider les Brabançons, et notamment Rik Wouters à ses débuts. La couleur devient l’élément prépondérant puisque c’est elle qui permet une lisibilité de l’œuvre. L’image est simplifiée, synthétisée.

Rik Wouters (1882-1916)

Rik Wouters va être le chef de file du mouvement en Belgique. Dans son tableau “Le flûtiste”, on voit une couleur fluide, appliquée par touches séparées (jeu de hachures sommaires) et qui laissent, par endroit, apparaître la toile. L’espace s’organise à partir de la touche. L’artiste structure la composition par la couleur elle-même. Les tons sont vifs et savent exprimer la lumière et son éblouissement {Collectif, Le Musée d’Art Moderne, Bruxelles, Musea Nostra – Crédit Communal, 1988, pp.55}. Son modèle favori sera sa femme Nel.

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Auguste Oleffe (1867-1931)

Auguste Oleffe traite dans ses tableaux, généralement de grandes dimensions, des scènes de plein-air, des jardins ensoleillés.

Le premier groupe de Laethem-St-Martin: la tendance symboliste {L’essentiel de ce qui suit est extrait de: Le premier groupe de Laethem St-Martin 1899-1914, catalogue, MRBA, 1988.}

Le début du 20e siècle va être aussi marqué par “L’École de Laethem-St-Martin“, du nom de ce village au bord de la Lys, près de Gand, où vont se réunir (autour du sculpteur G. Minne) un certain nombre d’artistes aux environs de 1900.

Deux groupes vont constituer cette “École”. Le premier sera de tendance plutôt symboliste alors que le second sera davantage expressionniste.

C’est à partir de 1897 que quelques artistes flamands vont venir vivre à Laethem-St-Martin, arrivant les uns après les autres, attirés les uns par les autres, pour finir par former une véritable “colonies d’artistes“.

Bien que l’expérience de ce premier groupe n’ait pas duré plus de 5 ans, il va cependant laisser des traces profondes dans l’histoire de la peinture en Belgique au début du 20e siècle.

Les peintres qui vont constituer le premier groupe vont être influencés par l’art des Primitifs flamands (dont une première exposition célèbre va avoir lieu en 1902) et vont vouloir transposer leur style de façon moderne.

Ils portent les noms de Valerius de Saedeleer, Albijn Van den Abeele, Gustave van de Woestijne et Albert Servaes.

Valerius de Saedeleer (1867-1941)

La découverte des Primitifs flamands, puis de Pierre Bruegel l’Ancien, la lecture des poème de Guido Gezelle {Voir fiche “Arts et sciences au 19e siècle“} et la nature qui l’entoure vont être parmi les éléments qui vont amener Valerius de Saedeleer à peindre, de façon synthétique, des paysages pleins d’atmosphère, paisibles. Sa conversion au catholicisme en 1904 va également jouer un rôle dans sa nouvelle façon de concevoir ses œuvres. Celles-ci sont marquées par une spiritualisation, une idéalisation et une épuration des formes. Sa production, à cette époque, va être très importante, tant en termes de qualité que de quantité. Il s’agit, pour lui, de capter le “caractère” des choses. “Lorsqu’un motif vous a frappé, vous devez savoir clairement pourquoi. Il s’agit donc de voir, d’être tout yeux, pour analyser et retenir la tension du précieux moment. (…)”.

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Albijn Van den Abeele (1835-1918)

Albijn Van den Abeele, peintre autodidacte, va quant à lui être l’auteur de paysages ayant une grande poésie. Les coloris sont raffinés. Son ambition est de rendre aussi fidèlement que possible la nature qui l’entoure, tout en rendant l’ambiance qu’il a lui-même ressentie. Il perçoit le côté intimiste de la nature. Il incarne l’esprit de ce lieu où il est né.

Gustave van de Woestijne (1887-1947)

Lorsque Gustave van de Woestijne arrive à Laethem-St-Martin, il est fortement sous l’influence de la foi et de la figure du Christ et prend la direction des Primitifs flamands (et italiens). Ceux-ci lui révèlent le langage des formes, l’hymne à Dieu et à la création. Mais, c’est surtout Brueghel qui va guider son pinceau. Lorsqu’il peint ses paysans, il est conduit par les figures breughéliennes. Ses compositions sont dominées par une réalité tournée vers l’intérieur. Il prend distance par rapport à l’environnement, il ne rend pas les détails. Il simplifie au moyen d’un tracé précis. Les formes sont stylisées. La sobre déformation donne de la personnalité à son œuvre et lui permet de réduire un sujet à ce qui est pour lui l’essentiel. La couleur est appliquée en une couche mince, étalée et lisse.

Il va être l’auteur d’une œuvre multiple, tantôt émue, tantôt figée: portraits, toiles allégoriques dans des tons clairs, paysages, scènes rurales où rêve, mystère et religion s’entremêlent. C’est un mystique {Personne dont la foi religieuse est très prononcée, personne prédisposée au mysticisme (croyance selon laquelle l’homme peut, par diverses techniques, entrer en communication directe avec Dieu)}. Il rencontre Dieu partout, dans la nature et dans sa vie de tous les jours, “dans les yeux d’un enfant et dans le geste du semeur”. Sa foi est profonde, ancrée dans sa personnalité, dans son amour pour l’Homme et la nature. Son inspiration est toujours d’ordre intellectuel. Il médite, il fixe son attention sur la réalité intérieure. Il part toujours de son être propre, de cette analyse de soi par laquelle il essaie d’appréhender une plus vaste expérience du monde.

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Albert Servaes (1883-1966)

N’ayant pas reçu d’éducation religieuse, Albert Servaes va être frappé, à Laethem-St-Martin, par le sérieux religieux avec lequel travaillent les autres peintres qui s’y trouvent. Il y subit également l’influence de la nature et de la foi simple mais inaltérable d’hommes et de femmes attachés à la terre pour laquelle ils implorent la pluie et le soleil. Le paysan appuyé sur son outil, interrompant son labeur pour se reposer ou prier est un motif cher à ce peintre. Il partage les soucis des gens de la terre mais il ne crée pas un art de révolte mais bien un art religieux. “L’enterrement chez les pauvres” (1907) est une de ses créations les plus émouvantes, tout comme “Près du tombeau” (1908) qui montre des parents entourant la tombe de leur enfant.

Outre des scènes religieuses, il va également être le peintre du paysage, qu’il compose de façon simple. Sa palette de couleur est sombre (brun, ocre) et sa vision synthétique. Il va incarner le trait d’union entre les 2 groupes, entre le symbolisme et l’expressionnisme.

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On peut notamment voir certaines des œuvres de ces peintres au Museum Dhondt-Dhaenens {icon map-makerMuseumlaan, 14 – 9831 Deurle
icon websiteMuseum Dhondt-Dhaenens}
à Deurle (près de Gand).

Le deuxième groupe de Laethem-St-Martin: la tendance Expressionniste

Les membres de ce deuxième groupe vont constituer le fer de lance de l’expressionnisme en Belgique, mouvement qui va essentiellement se développer en Flandre après la première guerre mondiale.

Au sens général, le terme “expressionnisme” désigne les formes d’art visant, par-delà les lois esthétiques et les règles de constructions, à l’expression des émotions de l’artiste devant un spectacle donné.Il brise la vérité objective au nom d’une réalité subjective (…). C’est par définition un miroir déformant. (…) L’image qu’offre le miroir n’est pas celle du visage reflété, mais sa déformation par celui qui le perçoit. Le miroir, c’est l’œil du peintre” {Roberts-Jones (Ph), Du réalisme au surréalisme, La peinture en Belgique de Joseph Stevens à Paul Delvaux, éd. ULB, coll. Cahiers du Gram, 1994., p.117-119}. Avec l’expressionnisme, la représentation “objective” est abandonnée, l’accent étant mis sur l’approche émotionnelle.

Les Expressionnistes flamands aiment la terre et les paysans. Leurs œuvres expriment la vie de ceux qui les entourent. Elles sont vraies, simples, parfois rudes et les tons de “terre” sont souvent à l’honneur. L’expressionnisme, en Flandre, a donc un caractère rural prononcé.

Les membres du second groupe vont arriver à Laethem-St-Martin entre 1903 et 1909 mais la Première guerre mondiale (et donc l’occupation de la Belgique par les troupes allemandes) va les pousser à se réfugier à l’étranger (Angleterre et Pays-Bas principalement). Directement après le conflit et sous l’influence des contacts directs avec l’avant-garde internationale et surtout le cubisme et l’expressionnisme allemand, ils vont se lancer définitivement dans la peinture expressionniste.

Constant Permeke (1886-1952)

Constant Permeke, peintre, dessinateur, aquafortiste et sculpteur va être un des grands expressionnistes européens. Sa production comprend des marines, des paysages, des figures de paysans et de pêcheurs dans un style au lyrisme expressif à la vision âpre, puissante, instinctive. Son univers pictural est peuplé d’Hommes simples (paysans, couples…), vigoureux et calmes. Peu soucieux de l’exactitude du dessin, il poursuit, à travers des personnages aux épaules larges, anguleuses, aux mains épaisses, aux jambes disproportionnées et aux visages massifs, sa recherche d’un monde où le geste et le mouvement prévalent, d’un monde où le statisme apparent n’est qu’une force contenue. Sa peinture est sculpturale et monumentale. Ses tons sont souvent lourds et sombres (brun, ocre, noir). Il peint avec les couleurs de la terre. Ses personnages sont construits en formes massives et carrées. Il pose la couleur en coups de brosse hardis et en touches empâtées. Sa peinture est appliquée en couches épaisses sur la toile et est étalée avec ampleur. La forme est rendue de manière synthétique, simplifiée. Ses principales œuvres datent de 1920-1930.

Passionné par le structurel, il analyse la forme des choses. Il va s’intéresser au cubisme {Courant artistique, né au début du 20e siècle, dans lequel les sujets sont représentés sous des formes géométriques}, à l’art ethnique d’Afrique et d’Océanie…

La figure humaine occupe une grande place dans son œuvre. Il y exprime son attachement à la terre et à la vie paysanne, à la mer et à la campagne. Son œuvre est toujours restée ancrée dans le quotidien de l’être humain ordinaire des régions où il a vécu (Ostende, environs de Gand, Jabbeke). Inspiré par la vie rurale, il observe les habitants parmi lesquels il vit. Outre leur simplicité et leur spontanéité, c’est leur état d’âme qui le touche.

La force de son œuvre réside surtout dans son approche instinctive de son environnement. Sa seule préoccupation est d’extérioriser picturalement et matériellement ses sentiments. Il aspire à rendre en image, de manière saisissante, ses observations de la réalité quotidienne. Il veut créer une unité picturale entre la matière picturale et le contenu de son œuvre {Van den Bussche (W), Constant Permeke, Fonds Mercator, Anvers, 2012}.

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Son atelier à Jabbeke est devenu le Musée Permeke {icon map-makerGistelsteenweg, 341 – 8490 Jabbekeicon websiteMu.ZEE}.

Gustave de Smet (1877-1943)

La peinture de Gustave de Smet se caractérise par un style géométrique, des formes anguleuses et déformées, une palette chaude (où l’ocre et le brun dominent) et une peinture “plate”. Il a tendance à éliminer l’accessoire et à styliser très fort ses figures. Il schématise et souligne. C’est un chroniqueur de la vie campagnarde. Il s’est profondément intégré à la vie rurale et c’est à cet univers qu’il aime emprunter ses sujets: villages, campagne, paysans, pêcheurs, distractions populaires (kermesses, cirque…), mais aussi la femme.

C’est surtout durant la première guerre mondiale que G. De Smet va assimiler les influences diverses qui vont lui permettre d’élaborer un style expressionniste qui lui est personnel, fait d’une alliance entre l’expressionnisme et le cubisme {Ce qui suit est extrait de Boyens (P), Gust De Smet, éd. Ludion, 1989}. Sa peinture est faite de lignes anguleuses et arrondies. Son art est statique, le mouvement est absent, la forme est rigide mais cela n’empêche cependant pas la forme de vibrer. La plupart de ses personnages n’agissent pas. Impassibles, ils regardent le spectateur d’un air absent.

Son art est plus fondé sur la réflexion que sur l’instinct (contrairement à C. Permeke dont l’art exprime des sentiments/pulsions instinctifs). Il s’attache, par le biais de la réflexion, à toujours épurer davantage la forme.

Ses personnages ont tendance à présenter des caractéristiques immuables: une silhouette anguleuse et fermée, une tête ovale, une nuque droite, un cou cylindrique, de grands yeux en forme d’amande, un nez long et droit qui divise les parties claires et sombres du visage, des joues pleines, une petite bouche étroite, des bras et jambes volumineux et tubulaires.

A l’origine de son style, on trouve différentes sources d’inspiration. D’une part, il a été fort marqué par l’art africain (sculptures et masques) et la façon qu’il a de représenter la figure humaine: effacement de tout trait individuel, réduction des formes corporelles à un noyau essentiel, attitude hiératique, expression rigide… D’autre part, l’art égyptien a constitué un autre point de départ important en ce qui concerne la simplification des formes, l’élimination des caractéristiques individuelles au profit de traits universels. Cette influence se marque dans le traitement des détails: l’aile du nez dessinée d’un trait continu, le rendu des yeux toujours vus de face. Enfin, une autre source d’inspiration a été l’art populaire caractérisé lui aussi par une physionomie synthétique, rigide et par l’expression hiératique (le théâtre de marionnettes était très populaire au début du 20ième siècle).

Ses paysages sont également représentés de manière simplifiée. La ferme se réduit à sa forme cubique, les troncs et branches sont cylindriques, le soleil est un simple disque rond…

La couleur est un élément constructif de la composition. Les vastes pans de couleur unie renforcent la synthèse. Couleur et forme renforcent mutuellement leur expressivité (exemple: la couleur anime la joue). Les formes sont modelées par le biais de la couleur.

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Frits van den Berghe (1883-1939)

Frits van den Berghe présente lui aussi, comme G. De Smet, un œuvre où sont présentes stylisations décoratives et déformations cubistes. Par ailleurs, tout comme lui, il va lui aussi évoquer des scènes de la vie à la campagne. Toutefois, chez Frits van den Berghe, l’atmosphère est plus oppressante, la structure de la composition est moins ordonnée.

Il va ensuite évoluer (après 1925) vers le surréalisme (qui commence à se développer à l’époque) et le fantastique. Ses visages deviennent souvent caricatures. L’humour et la tradition du fantastique flamand demeurent sous-jacents. Pour lui, selon ses propres termes, “le rêve est une réalité comme toutes les autres formes de vie (…)”. En outre, il saisit et fixe le tourment intérieur, l’angoisse humaine. Il sonde les profondeurs troubles de l’âme humaine. Il aspire à exprimer la vie intérieure et les phénomènes du subconscient. La peinture est pour lui une réinvention de l’esprit.

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On peut notamment voir certaines des œuvres de ces peintres au Museum Dhondt-Dhaenens {icon map-makerMuseumlaan, 14 – 9831 Deurleicon websiteMuseum Dhondt-Dhaenens} à Deurle (près de Gand).

Et d’autres…

Les remous de l’expressionnisme vont largement dépasser Laethem-St-Martin.

Jan Brusselmans (1884-1953)

Jan Brusselmans, après avoir pratiqué une peinture fauviste va lui aussi, au lendemain de la guerre, se diriger vers l’expressionnisme. Sa palette va s’assombrir. Comme les autres peintres, il puise ses thèmes d’inspiration dans ce qui l’entoure: femmes du peuple, ouvriers, paysages, objets usuels… Il souligne, avec application, chaque élément de sa composition: assiette, lampe, coquillage… mais aussi maisons, bateaux… par le biais de contours nets dont il entoure les personnages et les objets. La composition est primordiale à ses yeux. Les figures et les paysages sont réduits à des entités individuelles de formes et de couleurs dans le cadre d’un canevas géométrique savamment étudié et dans l’ordonnance de ses propres émotions. Cette géométrisation et cette schématisation font que l’image de la nature est consciemment dépouillée de matérialité et de détails {Vermeersch (V), L’Expressionnisme flamand, Museumpromenade 4, Les amis des musées communaux de Bruges, 1989, pp 41-43}.

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Anto Carte (1886-1954)

Anto Carte est un peintre à la fois expressionniste et symboliste. Son trait circonscrit avec une élégante netteté la silhouette de ses personnages, les détails d’une nature morte ou d’un paysage. Son enthousiasme pour le poète Emile Verhaeren, qu’il rencontre à Paris, détermine le choix des sujets de sa première période, tels le pêcheur et le passeur d’eau. Certaines de ses œuvres sont inspirées de l’Evangile, d’autres par le terroir (paysages, représentations d’ouvriers, de femmes et d’enfants). Lorsqu’il aborde le monde des arlequins, des musiciens ou des clowns, sa peinture se fait plus légère, la lumière y joue un rôle plus subtil et ajoute à la grâce de la composition le charme de la poésie {Mons – Anto Carte (1886-1954)}.

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Edgard Tytgat (1879-1957)

Pour Edgard Tytgat, “C’est par la fenêtre qu’on respire et qu’on s’inspire”. Il aime regarder, lorgner et beaucoup rêver. Il observe la vie des faubourgs et des baraques foraines de son regard candide mais aussi d’un œil perçant et qui se teinte fréquemment de gourmandise et de rêves polissons, lorsque le fruit défendu se présente dans une “Baraque d’Amour”. Avec lui, l’anecdote se fait image. Le peintre raconte, dans un style qui lui est propre, ce qu’il voit ou ce qu’il désire voir {Roberts-Jones (Ph),Du réalisme au surréalisme, La peinture en Belgique de Joseph Stevens à Paul Delvaux, éd. ULB, coll. Cahiers du Gram, 1994., p.157}. Grâce à l’importance qu’il accorde à l’élément narratif, à l’utilisation d’un langage imagé naïf, à la volonté de simplification et à la limitation des tonalités et des couleurs, Edgard Tytgat va parvenir à créer, dans les années 1920-30, un expressionnisme personnel, intime et populaire, de caractère informel. C’est surtout l’imagerie populaire qui l’inspire, tout comme le conte, la satire et les récits orientaux (comme “Les 1001 nuits”) à tendance allégorique ou même érotique. Mais c’est aussi le folklore, les forains, les gens du voyage {Vermeersch (V), L’Expressionnisme flamand, Museumpromenade 4, Les amis des musées communaux de Bruges, 1989, pp.33-36}

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Léon Spilliaert (1881-1946)

Après des premières œuvres (1900-1904) allégoriques et souvent d’inspiration littéraire, Léon Spilliaert va prendre pour sujet principal d’attention, l’autoportrait (1907-1908). Ces œuvres démontrent son intérêt particulier pour l’aspect psychologique de l’expression artistique. Son langage consiste à confronter dans des tonalités qui varient entre le blanc et le noir des aspects formels (comme la géométrie d’un intérieur) ou l’irrégularité d’un visage illuminé. Il se rend compte de l’effet dramatique produit par sa technique du clair-obscur. Quelques années plus tard, son intérêt va se porter sur la figure humaine et, en particulier, la figure féminine. La baigneuse va devenir un de ses thèmes majeurs. Le corps féminin est célébré sous la forme d’une silhouette qui se découpe par rapport au fond. Il abandonne les contrastes des noirs et blancs et laisse jouer les coloris, le plus souvent rendus au pastel. Les formes deviennent plus compactes. Une certaine monumentalité se dégage de ses figures. Le cadrage se simplifie. Le détail est banni. Suivront ensuite, des marines au crépuscule, les quais d’Ostende… Pour faire un tableau, dit-il:

je dois absolument avoir vu la scène que je transpose alors suivant ma manière, que je transforme, que je déforme même. (…)“.

Insomniaque, Spilliaert déambule souvent, la nuit, sur la digue d’Ostende. Il y découvre la plage et la digue sous un aspect étrange qui le fascine et emporte ce paysage avec lui.

Soucieux de la représentation de l’espace, il utilise des procédés aussi différents que le contraste entre les plans, la vue sous un angle aigu ou panoramique ou la perspective géométrique basée sur les lignes convergentes. La mer, la digue, la plage sont réduits à des triangles dont les angles se rejoignent à l’horizon. Le paysage est décomposé et ses aplats se complètent dans une composition d’une apparente simplicité, suscitée par un cadrage étudié. Son tableau “La femme sur la digue” (1908) en est l’exemple le plus frappant. Le paysage finit par devenir, ainsi, une forme quasi géométrique sur laquelle se profilent des silhouettes solitaires. La réduction des formes se fait au profit d’une composition simplifiée qui intensifie son caractère étrange. Le maximum d’effets est produit par une extrême économie des moyens. L’arabesque va aussi former un élément essentiel dans certaines de ses compositions.

Durant les années 1930, son regard va être de plus en plus tourné vers les paysages ou les vues urbaines. Petit à petit, l’être humain va disparaître de ses œuvres ou ne va plus être qu’un accessoire perdu dans un paysage {Tricot (X), Leon Spilliaert, éd. Pandora, Gand, 1996}.

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On peut notamment voir certaines de ses œuvres au MUZEE {icon map-makerRomestraat, 11 – 8400 Oostendeicon websiteMu.ZEE – LA Collection} à Ostende.

L’abstraction (la “Plastique Pure”)

On peut situer aux environs de 1910, l’avènement de ce courant artistique qui rejette la représentation du réel tangible. Parmi ses initiateurs, on trouve le peintre russe W. Kandinsky (1866-1944) qui va choisir de supprimer délibérément toute référence au monde extérieur dans sa peinture.

La Belgique ne va pas connaître l’élan des abstractions de la même manière que l’Union soviétique, l’Allemagne ou les Pays-Bas. Il va s’agir d’avantage d’une “seconde vague” qui va assimiler en un même esprit de construction, cubisme, futurisme et non figuration. Dans la Belgique des années 1920, solidement ancrée dans le réalisme expressionniste, la modernité plastique a peine à s’imposer {Draguet (M), L’animisme et la guerre, in La Jeune peinture belge 1945-1948, éd. Crédit Communal, 1992, p.18}.

Parmi les peintres abstraits belges de cette époque, on peut citer notamment Josef Peeters (1895-1960), Georges Vantongerloo (1886-1965), Marthe Donas {Musée Marthe Donas – MIMDo asblicon map-maker36, rue de la Montagne – 1460 Ittre icon websiteMusé Marthe Donas} (1885-1967) ou encore Victor Servranckx (1897-1965) qui enrichira sa vision abstraite des choses par un référence allusive à la machine ou à la ville.

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Le surréalisme

On fixe généralement la naissance de ce mouvement en 1924, à l’occasion de la publication par le français André Breton du “Manifeste surréaliste“.

Littéraire à ses débuts, le surréalisme va devenir très vite un mouvement multi-disciplinaire s’appuyant sur tous les médias possibles de l’époque comme la poésie, le théâtre, la peinture, la photographie et le cinéma.

Né au lendemain de la première guerre mondiale, avec la remise en question de toutes les valeurs morales, politiques et esthétiques {Le surréalisme naît des cendres du dadaïsme, mouvement provocateur, cosmopolite qui prône la désorganisation, la désorientation et la démoralisation de toutes les valeurs religieuses, politiques et artistiques. Né à Zurich en 1916, il exprime par la dérision, son dégoût profond du monde existant. In Collectif, René Magritte, dossier pédagogique, Educateam, MRBA, 2009}, il va connaître un rayonnement international extraordinaire dans les années 1920-30.

André Breton définit le surréalisme comme étant un “Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.

Ce mouvement repose sur le refus de toutes les constructions logiques de l’esprit et sur les valeurs de l’irrationnel, de l’absurde, du rêve, du désir et de la révolte.

L’humour y joue également un rôle important. Il est l’expression d’une révolte, une façon de se libérer des conventions, ou encore une manière d’envisager le monde {Collectif, René Magritte, dossier pédagogique, Educateam, MRBA, 2009}.

Les surréalistes cherchent à donner à l’art et à la vie un sens poétique en explorant des données nouvelles comme le rêve, le hasard, l’inconscient, le désir, l’irrationnel, le mystère. Ils accordent au désir une toute puissance et trouvent la beauté hors des cadres stéréotypés. L’art doit rendre visible l’invisible, la poésie doit dire l’indicible. S’appuyant sur la définition de la beauté par le poète français Lautréamont (1846-1870) dans “Les chants de Maldoror“: “Beau comme la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection“, les surréalistes vont découvrir qu’une image intéressante peut naître d’un assemblage dû au hasard de deux réalités plus ou moins éloignées. Cet univers de rencontres surprenantes prend forme dans la peinture du peintre italien Giorgio De Chirico (1888-1978). Assemblant des objets hétéroclites, il va faire découvrir aux surréalistes, une réalité bouleversante et mystérieuse. L’objet familier et banal devient énigmatique. Le peintre belge René Magritte y verra “l’ascendant de la poésie sur la peinture“. Pour lui, De Chirico est le premier à “rêver de ce qui doit être peint et non de la façon dont il faut peindre”.

René Magritte {Voir René Magritte} (1898-1967)

Le surréalisme belge se distingue très nettement des théories d’André Breton sur la conception de l’image. Elle n’est ni le résultat d’une écriture automatique, ni le fruit du hasard mais bien le produit d’une démarche longuement réfléchie. La question de la connexion entre l’objet réel, son image et les mots le désignant seront au centre de la révolution surréaliste de René Magritte qui dira:

la forme ne m’intéresse pas, je peins des idées”, “j’essaie toujours que la peinture ne se fasse pas remarquer (…). Je travaille un peu comme un écrivain qui rechercherait le ton le plus simple, qui se refuserait à tout effet de style, de façon à ce que le lecteur ne puisse distinguer dans son œuvre autre chose que l’idée qu’il a voulu exprimer.”

Influencé d’abord, notamment, par le cubisme, René Magritte {Ce qui suit est notamment extrait de Pierre (J), Magritte, éd. Somogy, Paris, 1984 et de Magritte, le clair voyant, exposition du centenaire, supplément du journal Le Soir, 5 mars 1998} va adhérer en 1925 au surréalisme, courant qu’il va faire connaître en Belgique. “Le Jockey perdu” (1926) est considéré comme sa première œuvre surréaliste. L’objet devient la clé de voûte de son œuvre.

Ses œuvres les plus caractéristiques présentent, en effet, des objets familiers, parfois insolites, transposés dans un contexte qui déroute. Jusqu’en 1933, la quasi-totalité de son œuvre va être animée par la recherche systématique d’un effet poétique en faisant se rencontrer des objets sans parenté aucune. “Représenter des images poétiques visibles“, tel est le but de Magritte.

Le mystère appartient à l’ordre de l’indicible. Il est donc au-delà de tout discours logique. Le silence devient ainsi l’expression poétique du mystère. Le sens échappe au spectateur. Le peintre se refuse à toute interprétation symbolique et les titres qu’il donne ou que ses amis donnent a posteriori ne sont d’aucune aide dans la compréhension de ses tableaux. “Il n’y a pas de mystère explicable dans ma peinture. (…). Le Pourquoi? N’est pas une question sérieuse.”. Le mystère fait partie de la réalité qui ne peut exister sans lui: “le mystère est la nécessité absolue pour que l’existence soit possible.”. On ne peut connaître le réel de manière objective. L’homme est dérouté par ses sens (instruments perceptifs imparfaits) ou par les conventions sociales. La poésie est la seule à pouvoir rendre visible le mystère et à proposer une nouvelle vision du monde dans laquelle le spectateur “entend le silence du monde.

Dans “L’empire des lumières”, il représente une situation impossible: midi et minuit au même moment. De ce tableau il dira: “Cette évocation de la nuit et du jour me semble douée du pouvoir de nous surprendre et de nous enchanter. J’appelle ce pouvoir la poésie.“.

La construction de ses œuvres fait appel à un certain nombre de procédés qui visent à révéler l’inexistence d’une réalité objective et à démonter le piège des apparences.

Par un système combinatoire d’objets ou d’éléments non complémentaires, il impose une lecture fragmentée du tableau. L’objet lui-même subit une série de transformations qui contribuent à le libérer de son rôle habituel.

Le fait de voir ne constitue pas seulement un événement physique, il s’agit d’un acte raisonné” dit Magritte. L’individu n’envisage jamais les objets pour eux-mêmes mais par le biais de sa pensée. La dénomination des objets y joue un rôle important. L’être humain voit ce qu’il a appris à voir. Mais l’être humain est convaincu du contraire, à savoir que l’observation dirige sa pensée. Magritte veut confronter le spectateur avec ce faux raisonnement. Il veut rendre le spectateur conscient des habitudes de raisonnement qui dirigent sa perception. Il veut sortir l’objet de la structure mentale dans laquelle il a été placé. Il veut faire ce que fait le philosophe: déclencher un processus de prise de conscience et ce, au moyen d’images.

Magritte ne veut pas peindre des images innocentes mais au contraire, des images chargées d’un potentiel subversif. La valeur réelle de l’art est fonction de son pouvoir de révélation libératrice, dira-t-il. Il va utiliser différents moyens pour dépayser les objets familiers: la transformation d’objets connus, le changement de matière pour certains objets (ex: un ciel de bois), la fausse dénomination d’une image.

L’insolite jaillit de la superposition d’éléments puisés dans le réel et détournés de leur fonction habituelle. Ces éléments créent une réalité autre.

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Le style importe peu, seule compte l’image, celle qui surprend, brouille les pistes, bouscule les conventions, détourne la banalité, corrompt le familier, transforme l’évidence en mystère. Son but est d’engendrer un climat poétique dépaysant qui plonge le spectateur dans le désarroi, l’inquiète, le pousse à la réflexion.

Magritte joue avec les mots et les images. Son tableau “La trahison des images” où il est écrit “Ceci n’est pas une pipe” montre une pipe (mais effectivement, ce n’est pas l’objet “pipe” mais bien un tableau représentant cet objet). Un objet ne fait jamais le même office que son nom ou son image. C’est tout le rapport de la réalité à l’image qui est abordé.

Quant au titre, il se produit une dissociation illustrant le hiatus existant entre l’objet et son nom. Ainsi, il dira: “les titres de mes tableaux les accompagnent, comme des noms correspondant à des objets sans les illustrer si les expliquer. (…). Ils ne sont pas des clés”. Les titres de ses tableaux ne sont jamais explicatifs (pas même de façon biaisée).

Une place importante est laissée à l’imagination. Par contre, Magritte n’est pas attiré par le rêve. Pour lui, “le rêve est de la sous-réalité, c’est à dire qu’il n’a rien de poétique. (…)“.

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Un nombre important de ses tableaux ont été réunis au sein du Musée Magritte {icon map-makerRue de la Régence; 3 – 1000 Bruxelles
icon websiteMusée Magritte à Bruxelles} à Bruxelles.

Paul Delvaux (1897-1994)

Le peintre Paul Delvaux va, quant à lui, découvrir le surréalisme vers 1935 {Avant cela, il peignait des œuvres à tendance expressionniste. Il est influencé, à l’époque par la peinture de C. Permeke et G. De Smet}. Il va participer aux manifestations de ce mouvement sans toutefois y adhérer. Son art comprend principalement de grandes compositions où évoluent des femmes (nues ou habillées) au milieu de décors architecturaux. Son dessin est précis, net. Ses couleurs sont froides et pâles. Ses personnages évoluent dans un monde de rêve, hors du temps, un monde immatériel à la sensualité froide. Ils sont généralement figés ou marchent apparemment sans se voir. La femme est le centre de son œuvre, tout comme l’architecture (antique), les trains et les gares, ainsi que les squelettes. On décrit souvent Delvaux comme étant le peintre du rêve et de la poésie. Le monde merveilleux de Delvaux est truffé de souvenirs à la fois concrets et spirituels, dont les références se trouvent le plus souvent dans les souvenirs et les expériences de la jeunesse: les vieilles lampes de sa maison natale, les grandes dalles noires de la cuisine de sa grand-mère, les trains et les trams de son enfance, les squelettes qu’il avait regardés dans une classe de son école, l’architecture qu’il avait commencé à étudier avant de se consacrer pleinement à la peinture et, enfin, les recommandations de sa mère concernant cet être dangereux et pernicieux qu’est la femme {Ce qui précède est pour l’essentiel extrait de: Brutin (H), Paul Delvaux: profil d’un artiste, in Delvaux, Arts Antiques Auctions, Hors série, pp; 9-16}.

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On peut notamment voir certains de ses tableaux au Musée Paul Delvaux {icon map-makerDelvauxlaan, 42 – 8670 St-Idesbald-Koksijde
icon websiteFondation Paul Delvaux MUSEUM} à Saint-Idesbald (sur la Côte belge).

La Jeune peinture belge

La Jeune peinture belge est une association qui va regrouper, au lendemain immédiat de la guerre (entre 1945 et 1948), l’élite picturale d’une génération.

Fortifiés par un vif sentiment d’appartenance nationale issu des aléas de la guerre, les artistes qui vont la composer vont avoir la conviction, dans un premier temps du moins, d’œuvrer de concert afin d’imposer un art belge nouveau, de plus en plus largement ouvert, il est vrai, aux propositions internationales de l’art contemporain mais riche cependant de réflexes proprement autochtones.

Malgré les différences stylistiques des jeunes peintres qui la composent, se dégage cependant au départ une certaine sensibilité collective. Tous fondent, au départ, leur vision sur la réalité quotidienne et partagent un même répertoire thématique: portraits des proches et autoportraits, coins du foyer, perspectives urbaines, paysages avoisinant le logis. Il s’agit d’élaborer un univers formel inédit à partir de choses du réel. “La pression de l’intellect (…) analyse les apports de la vision (…) mais rarement une décision délibérée fait pencher la balance esthétique vers la pure et simple géométrie ou vers la pure et simple fidélité à l’objet tel qu’il se présente.” {Paul Fierens cité in La Jeune peinture belge 1945-1948, , op. cit., p. 141}.

Mais la question “Où cesse le figurisme, où commence l’abstraction?” va néanmoins progressivement se poser à ces jeunes artistes. La “limite est difficile à voir, voire impossible à tracer. A force de décomposer une figure dans ses éléments constructifs, à simplifier son caractère et à vouloir l’exprimer dans son essence, elle finit par se dépouiller entièrement de son enveloppe extérieure. L’artiste (…) la ramène par étapes du stade concret au stade abstrait. Or la plupart des peintres qui nous occupent parcourent indifféremment tous ces échelons et s’y arrêtent à leur gré, sacrifiant ainsi plus à leur fantaisie qu’à un parti pris“. En 1948, des options esthétiques plus affirmées vont faire apparaître entre les artistes de La Jeune Peinture Belge des divisions qui vont se cristalliser autour de la question de la non figuration.Le subjectivisme de la vision” va conduire des peintres comme G. Bertrand, L. Van Lint, A. Bonnet, Pol Bury (voir infra) à se faire les expérimentateurs de l’abstraction, tendance qui va devenir prédominante à la fin de cette aventure collective. Cette dynamique va amener ceux désireux de rester fidèles au réel à devoir se démarquer. Par ailleurs, un débat idéologique va radicaliser les antagonismes lorsque certains artistes vont prendre fait et cause pour un art réaliste d’obédience sociale. La fin de La Jeune Peinture belge n’est pas loin…

L’abstraction vers laquelle la majorité des membres de La Jeune Peinture belge vont se diriger peut être qualifiée de “poétique”. “Il ne s’agit pas d’une abstraction totale et intransigeante, à laquelle les artistes se seraient convertis de manière brutale ; chez la plupart, le cheminement est lent.” {René Huyghe cité in La Jeune peinture belge 1945-1948, op. cit., p. 170}. Cette abstraction poétique ne procède nullement d’une volte-face vis-à-vis du réel, ni (à l’exception de Jo Delahaut) d’un montage arbitraire de formes et de plans colorés (comme l’ont envisagé des peintres comme Mondrian et Malévich) mais plutôt d’une transposition interprétative du réel à travers l’héritage du cubisme et du fauvisme, selon un processus de décantation et de restructuration établi en fonction du tempérament de chaque créateur: des épures architecturées chez Bertrand, de souples arabesques de nature lyrique et organique chez Van Lint, des stylisations expressives traduites en structures colorées chez A. Bonnet… A chaque fois, le peintre ne cesse quand même pas d’exercer son regard sur les éléments du monde physique et rêve en même temps d’un langage pictural dépouillé des scories des apparences. Ce que l’on pourrait qualifier d’abstraction recèle donc des éléments de la réalité, parfois même des choses parmi les choses les moins visibles de celle-ci comme les remous du vent, de l’eau, des végétaux, comme une ambiance olfactive ou musicale dont le peintre donne un équivalent coloré à partir d’éléments abstraitement assemblés. D’un point de vue plastique, la démarche de plusieurs membres de la Jeune Peinture belge constitue l’aboutissement d’une émotion éprouvée devant la nature. En transposant celle-ci aux limites de l’identifiable, ils créent un jeu de rythmes, établis à partir de “lignes de force“, et d’éléments colorés peu modelés, formant un réseau irrégulier. Chez les uns, le caractère graphique tendra ultérieurement à disparaître au profit d’une disposition en touches denses, morcelées, juxtaposées ou fondues ; chez d’autres au contraire, se rapprochant ainsi des visées d’un Jo Delahaut, s’affirmera un caractère franchement linéaire et géométrique, renforcé par un emploi de la couleur en aplats stricts.

Pour la minorité des peintres réalistes membres de la Jeune Peinture belge, c’est le fait humain et social qui doit être privilégié, les phénomènes de la vie quotidienne et les mutations occupées de se produire, l’exaltation de la vie et du travail des hommes, “leurs luttes, leurs souffrances, leurs joies, leurs victoires et leurs espoirs.”, selon leur propres dires {In Manifeste de Forces Murales cité in La Jeune peinture belge 1945-1948, op. cit., p. 173}. “L’œuvre d’art doit être au service de la société et se plier au dogme de la compréhensibilité pour tous” {Draguet (M), La Jeune peinture belge en perspective, in La Jeune peinture belge 1945-1948, éd. Crédit Communal, 1992, p.179}. Leur volonté est de “réorganiser la vie sociale à partir d’un engagement social. Cette tendance du “réalisme social” sera incarnée par Roger Somville, Edmond Dubrunfaut et Louis Deltour.

Entre les 2 tendances, l’incompréhension sera totale, les uns et les autres parlant d’une réalité bien différente.

Détachés de la cellule qui les aura réunis pendant 4 ans, les artistes membres de La Jeune Peinture belge vont modifier, mûrir, approfondir leurs moyens d’expression, les uns dans le sens de l’abstraction, les autres dans la voie de la figuration. Certains d’entre eux vont devenir de grandes figures de la peinture belge d’après-guerre. Parmi ceux-ci, on peut notamment citer :

Anne Bonnet (1908-1960)

Dans ses premières œuvres, elle va traduire l’harmonie de l’instant surpris au quotidien à l’aide d’une palette délicate et lumineuse. Elle va ensuite s’orienter progressivement vers l’abstraction. Basés sur des souvenirs de voyage, ses paysages citadins sont recomposés sur la toile dans un agencement de plans aux colorations délicates.

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Louis Van Lint (1909-1986)

Dans ses premières œuvres, il interprète sur un mode poétique des scènes tirées de la vie quotidienne et familière. Il se tourne ensuite vers une forme d’Expressionnisme. Vers 1948, il abandonne le rendu de la réalité objective et recherche un rythme oscillant entre la règle et l’émotion. Après une courte période géométrique (1952-1954), il revient à l’abstraction lyrique. La forme prend sa source dans le monde végétal et minéral tandis que les couleurs sont choisies instinctivement. Elles sont pures et contrastées.

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Gaston Bertrand (1910-1994)

Après des débuts intimistes, il va entamer un lent processus de décantation de la réalité. Epris d’ordre et de rigueur, il organise ses œuvres comme de sensibles constructions architecturales dans lesquelles les éléments superflus sont peu à peu éliminés au profit de la quintessence poétique du sujet. A l’aide d’une ligne sobre et raffinée, il parvient à une vision épurée de l’espace avant d’aboutir à l’abstraction. Dès 1966, il va cependant revenir à une para-figuration de nature abstraite. Il est aussi l’auteur de nombreux portraits psychologiques dans lesquels il dépasse l’apparence pour confronter son modèle à sa solitude existentielle.

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Jo Delahaut (1911-1992)

Il va être pendant plusieurs années (et ce, dès 1945), le seul artiste non figuratif dans les rangs du mouvement La Jeune Peinture belge et va rapidement devenir le chef de fil de l’abstraction géométrique en Belgique. Le sujet est totalement banni de l’œuvre, la ligne et la couleur animent le rythme esquissé d’abord en noir et blanc. Dans les années 1950, des éléments répétitifs (acquérant une valeur de signe) viennent moduler ses compositions. Il va ensuite passer aux reliefs monochromes et s’intéresser à l’intégration des arts plastiques dans l’architecture.

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Pol Bury (1922-2005)

Il connaît, après des débuts réalistes, une période surréaliste influencée notamment par Magritte. Vers 1947, il abandonne l’art figuratif pour évoluer vers une abstraction de plus en plus rigoureuse. A partir de 1953, il va se consacrer à la sculpture.

Serge Creuz (1924-1996)

Ses premières œuvres trahissent l’influence du post-cubisme dans l’agencement des formes et celle des Fauves dans le traitement de la couleur. Par la suite, il va se révéler dans des œuvres qui, exécutées prestement, vont receler fantaisie et humour. Outre son activité de peintre, il sera illustrateur de livres, créateur d’affiches, scénographe et écrivain.

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Jan Cox (1919-1980)

Ce peintre et graveur va par conviction philosophique se refuser à orienter son art vers l’abstraction. A l’aide d’une palette audacieuse, il va recomposer les thèmes universels de la condition humaine à travers, notamment, l’illustration des grands moments de la mythologie classique et de la Bible. L’être humain est omniprésent. Ses œuvres fondent un ensemble éthéré {Qui est léger, aérien, impalpable ou fugitif}, peuplé d’apparitions fantomatiques, de figures voilées, floues, légères, de songes chromatiques qui paraissent piéger les apparences dans un réseau figuratif acide et grinçant {COX JAN (1919-1980), Robert L. DELEVOY}.

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Roger Somville (1923)

Il se préoccupe de la fonction sociale de l’art et milite pour la réinsertion de l’œuvre d’art dans les espaces publics. Il va être considéré comme le chef de file du mouvement “socio-réaliste” en Belgique. Il est l’auteur de nombreuses peintures ainsi que d’œuvres murales (dont une à la station de métro Hankar {Chaussée de Wavre à Auderghem} à Bruxelles), de tapisseries et de céramiques.

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Edmond Dubrunfaut (1920-2007)

Soucieux de créer un art pour tous qui trouve place dans la vie quotidienne, ce peintre-dessinateur participe dès avant la guerre à la promotion de la tapisserie moderne. On trouve notamment dans ses cartons de tapisserie des thèmes prolétaires se développant autour d’une nature généreuse.

Louis Deltour (1927-1998)

Il va être le co-fondateur, avec Roger Somville et Edmond Dubrunfaut, du “Centre de Rénovation de la Tapisserie de Tournai” (1947), du groupe “Forces Murales” (1947) et de “Art et Travail” (1972), mouvements soucieux d’intégrer l’œuvre d’art dans la vie quotidienne de la classe laborieuse. Puisant ses sujets dans la vie de tous les jours, il destine ses œuvres à des lieux publics tels que des réfectoires d’usines, des maisons de jeunes et des cafés populaires.

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COBRA

Ce mouvement (dont le nom vient de l’abréviation des villes Copenhague, Bruxelles, Amsterdam) défend un art libre, ouvert à toutes les expériences et qui évite les théories stériles ou dogmatiques. L’importance est donnée à la spontanéité, à la liberté sous toutes ses formes.

Créé en 1948 {Notons qu’avant que COBRA n’apparaisse sous la forme d’une fédération de groupes d’artistes expérimentaux danois, belges et néerlandais, le groupe a déjà derrière lui une histoire. Celle-ci est faite de la rencontre des acteurs dans une Europe libérée} par 8 artistes, peintres et écrivains, COBRA va se revendiquer comme mouvement expérimental se situant au-delà du clivage abstraction-figuration. C’est ainsi qu’un de ses membres, le Belge Pierre Alechinsky, dira “L’œuvre provoquée par la sensibilité, l’émotion, la spontanéité, ne sera jamais abstraite: elle représentera toujours l’homme.” {Cité in Draguet (M), La Jeune peinture belge en perspective, in La Jeune peinture belge 1945-1948, éd. Crédit Communal, 1992, p. 198}.

D’une certaine manière, COBRA reprend et radicalise ce que les artistes de la Jeune Peinture belge avaient expérimenté de façon intuitive: chercher à répondre au même désir d’être soi au travers d’une peinture plus vécue que théorique. Un certain nombre d’anciens membres de La Jeune Peinture belge vont d’ailleurs être proches, ou adhérer, à COBRA. Parmi eux, Alechinsky, Van Lint, Cox et Bury. Par ailleurs, une partie importante des artistes belges membres de COBRA a été marquée de l’empreinte du surréalisme {Draguet (M), COBRA: traces et instants. Esquisse de chronologie, in Collectif, COBRA, éd. Lannoo, 2008, p. 16}.

COBRA (1948-1951) est un esprit (une fête) qui traduit les attentes et les désillusions d’une jeunesse au sortir de la guerre. Un de ses éléments les plus significatifs est la rencontre du peintre et du poète dans la fête d’un travail partagé. Cette dynamique va induire une effusion de l’écriture en images. En 1948, le peintre danois Asger Jorn et l’écrivain belge Christian Dotremont vont réaliser leurs premières peintures-mots” qui allient poésie et peinture en une œuvre, image-mot, rapidement exécutée. Tantôt l’écrivain prend l’initiative et peint quelques mots qui vont alimenter l’inspiration du peintre. Tantôt, c’est l’inverse

Dans la Déclaration de principe de COBRA publiée en 1950, en forme d’éditorial, on peut notamment lire:

La plupart des “mouvements” qui se “meuvent” dans le monde misent sur les différences qui séparent les hommes, les nations, les artistes, les activités. Nous sommes peintres disent par exemple les uns (…). COBRA, par contre, ne mise ni sur les oppositions ni sur l’uniformité, mais sur LE PLUS GRAND DENOMINATEUR des hommes, des nations, des artistes, des activités; qui est le moteur des différences mêmes (…)”

Pour Dotremont, la clé de COBRA va résider dans la façon dont artistes et écrivains vont mélanger les disciplines et passer de l’une à l’autre. Pour le peintre néerlandais Constant, par contre, c’est dans son esprit libertaire que se situe la véritable réussite de COBRA.

Expérimenter, s’exprimer en toute liberté, le plus directement et le plus spontanément possible sera leur leitmotiv. Ce langage se traduit par l’immédiateté du geste, un geste rythmé qui enroule et fait virevolter les lignes, aboutissant à des formes à la limite de l’identifiable. Les normes esthétiques et leur impact réducteur sur la pulsion créatrice naturelle de l’homme sont proscrits.

L’art du mouvement COBRA se caractérise notamment par les visages-masques ainsi que des évocations, en apparence enfantines et spontanées, de la faune, de la flore et d’êtres fantastiques.

Les artistes de COBRA se sont passionnés pour l’ethnologie, les arts premiers {Terme utilisé pour désigner les productions artistiques des sociétés dites “traditionnelles”. Par extension, le terme désigne communément la production artistique traditionnelle des cultures non-occidentales}, emboîtant le pas aux cubistes. Dans cet esprit, ils ont étudié les écritures anciennes, comme les caractères de l’ancien alphabet nordique gravé dans la pierre.

Ils vont également s’intéresser à l’art des enfants et à celui des aliénés, admirant leur grande liberté d’expression. Cette attitude, au lendemain de la guerre, exprime avec conviction une volonté de revenir aux origines pour jeter les bases d’un monde nouveau en se défaisant du vieux modèle occidental inhibiteur.

Les principaux théoriciens de COBRA vont embrasser la cause socialiste de l’Internationalisme et imaginer leur Mouvement comme n’étant limité par aucune barrière nationale, raciale ou culturelle. Cet internationalisme recelait d’une part une réaction contre le nationalisme destructeur et le racisme des années hitlériennes et d’autre part, une riposte contre l’étroitesse de l’opinion et du goût bourgeois. Pour ces artistes, la libération de la société bourgeoise et de sa culture est un objectif à atteindre.

Les fondateurs du mouvement se rejoignent explicitement sur de nombreux points: un idéalisme de gauche, la rupture avec le surréalisme français, l’agacement face à un certain parisianisme fait de bavardages pontifiants et d’élucubrations stériles… Mais surtout, ils souhaitent expérimenter de nouvelles voies créatives dégagées des normes imposées par des siècles de civilisation occidentale.

Notre expérimentation cherche à laisser s’exprimer la pensée spontanément, hors de tout contrôle exercé par la raison. Par le moyen de cette spontanéité irrationnelle, nous atteignons la source vitale de l’être. Notre but est d’échapper au règne de la raison, qui n’a été, qui n’est encore autre chose que le règne idéalisé de la bourgeoisie, pour aboutir au règne de la vie.”

Toutefois, COBRA est avant tout un groupe d’amis unis davantage par leur intérêt pour la spontanéité du geste créateur que par des grandes théories. C’est le plaisir simple de peindre, de sculpter, d’écrire, seul ou en groupe, qui prédomine {De Maret (P), Cobra: le drôle de totem d’une étrange tribu, in Collectif, COBRA, éd. Lannoo, 2008, p. 157-159}.

Les 2 membres belges les plus connus de COBRA sont:

Pierre Alechinsky (1927)

Il sera le premier peintre belge à rejoindre COBRA, en 1949. Jusque-là, la mouvance belge était marquée par les écrivains. Il aime les impulsions et explore librement des siècles d’histoire de l’art, de folklore et de littérature, refusant chaque fois la tyrannie des systèmes et de la logique. Tel un pilleur d’épaves intellectuel, il ramasse tous les objets qui aiguillonnent son imagination. II va ainsi de découverte en découverte. II va aussi emprunter aux surréalistes l’idée de la productivité poétique du hasard. La découverte (après la dissolution de COBRA) de la peinture chinoise et de la calligraphie japonaise va influencer de manière décisive sa démarche. Après son retour du Japon, il va travailler régulièrement sur papier, utilisant pinceau et encre de Chine. L’acte de peinture va prendre de plus en plus d’importance, au point de devenir spectacle. Le papier est d’abord froissé, puis lissé et marouflé sur la toile. II est peint à l’encre de Chine et à l’acrylique, puis arrosé d’eau et séché. Alechinsky rompt définitivement avec la tradition de la peinture à l’huile, combine le format monumental au geste spontané de ses œuvres sur papier et laisse libre cours à son imagination. La fusion s’opère dans Central Park (1965). Il s’agit du premier tableau dans lequel Alechinsky entoure une image centrale d’une série d’images plus petites. Cette technique, qu’il continuera à appliquer, rappelle la manière dont les miniaturistes du moyen-âge entouraient leurs œuvres de drôlerie.

La naissance continuelle de son monde est nourrie par la littérature, les rencontres fortuites, les impressions de voyages, les sensations, les objets. Alechinsky aime se laisser guider par le hasard. Ainsi une chose aussi simple que la spirale d’une pelure d’orange peut-elle lui servir de point de départ à un voyage dans l’imaginaire. Les motifs de volutes, de serpentement, d’arabesques, jalonnent l’ensemble de ses œuvres. Les traits de pinceaux s’enroulent et se déroulent. Parmi les sujets qui vont l’inspirer, on trouve le Carnaval de Binche, les volcans (à partir de 1970), montagnes, terrils (2005-07)… A partir de 1980, il va effectuer ses premiers estampages {Procédé utilisé en Chine dès l’époque Han pour multiplier les reproductions de bas-reliefs, stèles, dalles, etc. (Une feuille de papier humidifiée et enduite d’agar-agar est posée sur le monument en épousant les creux de l’original, et seules les parties en relief sont tamponnées d’encre épaisse. Lorsque la feuille et l’encre sont sèches, le papier est décollé et l’image apparaît non inversée.) Voir estampage} à l’aide d’objets tels qu’une bouche d’égout, des plaques, de grilles en métal et même des ressorts. Il réalisera également des céramiques à partir des années 1980 {Smets (I), Alechinsky de A à Z, Educateam, MRBA, 2007}.

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Christian Dotremont (1922-1979)

Il est un des fondateurs du mouvement COBRA et l’inventeur de ce nom. Du surréalisme revendiqué à Cobra, Dotremont a fait de l’acte créateur une morale en prise sur la vie. De là, cette défiance à l’égard des musées ou de l’université, dont la spécialisation radicale apparaît à ses yeux comme un signe de déshumanisation. Pour Dotremont, la création doit jaillir de la vie. Elle répond à une mission révolutionnaire: accorder l’avenir aux couleurs du désir. Ainsi, l’homme nouveau se libérera de la malédiction du passé pour définir un avenir nécessairement différent. Les collaborations nouées avec les peintres vont ouvrir au poète qu’est Dotremont la voie pour mener la poésie vers d’autres moyens.

Il creuse la valeur formelle de l’écriture. Il la dompte en gestuel qui griffe la toile, balafre le papier {Draguet (M), Christian Dotremont: une écriture Cobra}. Le rapport à la calligraphie va jouer un rôle non négligeable dans son cheminement. Après la dissolution de Cobra, il va poursuivre la création de ses propres logogrammes” calligraphiques: des textes poétiques qui sont aussi des peintures spontanées. Il va par ailleurs soutenir vivement l’idée d’une continuité de l’esprit COBRA, réalisant des œuvres collectives avec de nombreux artistes. Il va notamment concevoir de nombreuses “peintures-mots” avec Hugo Claus, essentiellement dans les années post-Cobra.

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L’Art après 1960

Le paysage artistique va être très varié. On va rencontrer pêle-mêle la figuration, l’abstraction, le surréalisme…

Parmi les peintres qui vont opter pour l’abstraction, on peut notamment citer Jef Verheyden (1932-1984), Dan Van Severen (1927-2009), Raoul De Keyser (1930-2012), Marthe Wéry (1930-2005), Bram Bogart (1921-2012).

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Parmi ceux qui vont rester fidèles à l’image, on peut citer des artistes comme Roger Raveel (1921), et Pjeroo Roobjee (1945), Pol Mara (1920-1998) mais aussi Jean-Michel Folon {Dont une série d’œuvres sont visibles à la Fondation Folon: Ferme du Château de La Hulpe, Drève de la Ramée 6 A à1310 La Hulpe (Brabant wallon)} (1934-2005) qui se distinguera dans le domaine de l’illustration.

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Sculpture

Avant la seconde guerre mondiale

Le courant figuratif va dominer la sculpture belge durant la première moitié du 20e siècle.

Georges Minne (1860-1941)

Georges Minne fera partie du Premier Groupe de Laethem-St-Martin. Au moment où il s’y installe (en 1899), il a déjà réalisé une partie importante de son œuvre sculptée et commence, à partir de 1900, à exposer dans toute l’Europe.

Toutefois, son installation dans ce village de la Lys coïncide avec l’apparition d’un autre type d’œuvre et d’une nouvelle thématique, celle de la survivance de l’esprit, de sa résurrection, de son immortalité. Les figures, allégoriques ou non, vont comme s’extraire, voire surgir du bloc initial, lequel semble leur donner naissance tout en ne leur permettant pas de se dégager totalement de lui et de gagner ainsi leur indépendance dans l’espace. Ce n’est plus le strict repliement de la forme sur elle-même mais plutôt une sorte d’arrachement pénible de la figure à la matière même, plâtre ou pierre. La masse générale l’emporte presque sur le sujet, par ailleurs, fort stylisé. Le personnage semble faire corps avec le bloc. Il y reste très naturellement soudé.

Après une période marquée par la répétition et un certain essoufflement, Minne va opter pour un retour à la réalité du modèle vivant. Il va travailler exclusivement à des études d’après nature. Les œuvres de cette époque sont d’un réalisme stupéfiant, à l’opposé de tout ce qu’il a produit jusque-là et dont l’aboutissement sera le “Débardeur” (1913), sculpture qui dégage une impression de rude détermination et de brutale puissance.

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Rik Wouters (1882-1916)

Rik Wouters a été sculpteur avant d’être peintre. Dans ses œuvres, il laisse éclater sa spontanéité, poursuit l’attitude fugitive, l’instant de bonheur ou de réflexion de son modèle. Ses sculptures, comme ses peintures, sont pleines de vie. Rik Wouters conquiert l’espace autant par la présence, sinon l’exubérance du corps que par la puissance et l’originalité de son modelé tout en facettes {Collectif, Le Musée d’Art Moderne, Bruxelles, Musea Nostra – Crédit Communal, 1988, pp.97}. Loin des modelés froids et lisses de la sculpture traditionnelle, il opte pour un modelé plein de facettes et de rugosités. Il donne le volume graduellement. La surface de ses bronzes vit dans toute sa plénitude tangible si bien que l’on ne peut s’empêcher de vouloir la toucher {De Schoetzen (C), La « Vierge folle » chef d’œuvre baroque de Wouters, in Rik Wouters, catalogue, PMMK, Ostende, 1994, p. 24}.

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Oscar Jespers (1887-1970)

Oscar Jespers va rapidement s’engager, à la suite du cubisme, dans la simplification et la géométrisation des formes {Collectif, Le Musée d’Art Moderne, Bruxelles, Musea Nostra – Crédit Communal, 1988, pp. 97}.

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Paul Joostens (1889-1960)

Paul Joostens va expérimenter, dès le début des années 1920, la technique de l’assemblage, de la récupération dans ses collages et autres créations {Collectif, Le Musée d’Art Moderne, Bruxelles, Musea Nostra – Crédit Communal, 1988, pp. 108}.

Après la seconde guerre mondiale

La 2e guerre mondiale va agir comme une coupure, de nombreux artistes s’engageant, à partir des années 1950, dans la voie de l’abstraction (ce qui n’empêchera cependant pas l’art figuratif de persister) {Collectif, Le Musée d’Art Moderne, Bruxelles, Musea Nostra – Crédit Communal, 1988, pp. 100}.

Le processus intellectuel de conception prime sur la réalisation de l’œuvre.

Vic Gentils (1919-1997)

Vic Gentils va exécuter ses premiers reliefs en 1960 et va, à partir de là, s’installer dans l’art de l’assemblage, de la dépersonnalisation et de la mutation de l’objet trouvé. Il va investir le monde du bois, utiliser des vieux cadres moulurés et noircis au feu, puis des éléments de piano, des armoires, des morceaux de balustrades, des poulies, des embauchoirs, des formes à chapeaux… A partir de 1963-64, il va abandonner le relief pur et réaliser des œuvres où la figure humaine et la couleur réapparaissent.

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Pol Bury (1922-2005)

Pol Bury est un représentant de l’art cinétique {Art qui se compose d’œuvres avec des parties en mouvement. Ces mouvements peuvent être dus à l’air, à un moteur, au soleil ou encore au spectateur} en Belgique et une des grandes figures mondiales de celui-ci. Les notions de temps, d’immobilité et de mouvement sont au centre de son œuvre sculpturale {La Jeune peinture belge 1945-1948, éd. Crédit Communal, 1992, p. 209}. A partir de 1957, il va développer toute une esthétique de la lenteur et va réaliser, à partir de 1963, ses premiers “meubles” en bois ciré où voyagent boules et cylindres. Par la suite, il ne va cesser de construire des œuvres aux mécanismes compliqués et qui tentent de fixer ce moment imperceptible entre mouvement et immobilité. Il va notamment réaliser des sculptures hydrauliques mues par l’eau.

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Marcel Broodthaers (1924-1976)

Marcel Broodthaers, à l’origine poète, va être marqué par le courant artistique né en France des “Nouveaux réalistes” et va lui aussi vouloir s’approprier le réel d’une manière nouvelle. Il va ainsi assembler des coquilles de moules ou d’œufs, des chaussures de femmes, des jouets d’enfants…

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Olivier Strebelle (1927)

Olivier Strebelle (1927) va envisager rapidement des œuvres en métal (en particulier le bronze) de grandes dimensions et de plein air. Ses grandes figures sont constituées d’éléments enclavés les uns dans les autres {Collectif, Le Musée d’Art Moderne, Bruxelles, Musea Nostra – Crédit Communal, 1988, pp. 105}.

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Panamarenko (1940)

Panamarenko (pseudonyme d’Henri Van Herwegen ), peintre, sculpteur, assembleur et inventeur, est un important maillon de l’art belge depuis les années 1970. Il a une passion pour l’aérotechnique; la plupart de ses œuvres, même les plus fantasques, sont ancrées dans l’univers céleste. Ses productions sont à la fois drôles, poétiques mais surtout réalisables. C’est la science pour le plaisir. Les œuvres de Panamarenko recréent le monde merveilleux de la technique et de la physique. En réalisant ces projets, l’artiste se joue allègrement, et avec une grande créativité, des lois formelles de la mécanique et de la physique. Outre des aéronefs poétiques, il construit entre autres des véhicules, sous-marins et soucoupes volantes ludiques, qui garantissent une libre circulation sur terre, sur mer, et dans les airs.

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L’époque actuelle

Parmi les artistes belges contemporains, on peut notamment citer deux plasticiens particulièrement renommés mais aussi très controversés.

Jan Fabre (1958)

Ce plasticien {Mais aussi dessinateur, sculpteur, chorégraphe et metteur en scène de théâtre} est un adepte de la “performance artistique“. Ainsi, parmi ses œuvres maîtresses, émerge le revêtement intégral du plafond de la salle des Glaces du palais royal de Bruxelles: œuvre composée de 1,4 million de carapaces de scarabée aux reflets d’émeraude. Artiste controversé, son œuvre est fréquemment à l’origine de polémiques notamment concernant la nudité, la sexualité ou la scatologie.

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Wim Delvoye (1965)

Cet artiste est, lui aussi, particulièrement audacieux. Ses œuvres troublent l’espace-temps, interrogent genres, cultures et pratiques, mélangent intellectuel et populaire, confrontent héritages artistiques et technologies dernier cri. On lui doit, entre autre, Cloaca, la machine fécale, les objets usuels blasonnés ou encore des cochons tatoués, des sculptures néo-gothiques en acier corten… Son œuvre, qui se rit des codes de la société libérale, mêle l’obscène et l’impur aux notions d’hygiène et de religion. Ses créations exigent souvent l’utilisation d’une technologie complexe.

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