04/ Le règne de Léopold II (1865-1909)

A la mort de Léopold Ier, son fils, Léopold II (époux de Marie-Henriette de Habsbourg-Lorraine) lui succède. Il détient jusqu’à présent le record de longévité de la dynastie belge (44 ans de règne).

léopold II

Le “Roi-bâtisseur”

Léopold II est surnommé le “Roi-bâtisseur” car il a transformé des villes comme Bruxelles ou Ostende. À Bruxelles, il est à l’origine de l’édification des serres royales de Laeken {Celles-ci ne sont accessibles au public que quelques semaines en avril-mai.}, du parc et des arcades du Cinquantenaire, du tracé de l’avenue de Tervuren, du musée Royal de l’Afrique centrale à Tervuren, de la création de parcs publics comme le parc Duden, et de la transformation du palais royal de Bruxelles {Celui-ci n’est accessible au public que quelques semaines en été (août).}.

avenue tervuren

Ces travaux ont été financés par les bénéfices que lui rapportait l’exploitation des ressources du Congo.

Le gouvernement belge va manifester, cependant, les plus vives réticences à l’égard des générosités royales.

L’État indépendant du Congo

Avant d’accéder au trône de Belgique, Léopold II qui était alors Duc de Brabant, s’intéressait déjà à l’idée de colonisation. Il rêvait de voir la Belgique, pays de dimension modeste, certes, mais disposant de capacités techniques et économiques, s’intéresser à des territoires outre-mer qui pourraient contribuer à valoriser ses capacités commerciales, lui assurer l’accès à des matières premières et à des produits de la terre dont elle ne disposait pas, ou encore servir d’exutoire pour ceux -nombreux à l’époque- qui vivaient en Belgique dans la misère.

Le regard du roi va se porter d’abord vers l’Asie mais “la voie était fermée” (il ne put, comme il l’espérait, racheter les Philippines à l’Espagne). Il va s’intéresser ensuite au bassin du fleuve Congo, au cœur de l’Afrique noire, région très mal connue des Européens.

Français, Britanniques et Portugais cherchaient, eux aussi, à en explorer l’intérieur, à découper à leur profit ces immenses territoires puis à faire reconnaître, par l’ensemble des puissances européennes, un partage territorial qui se ferait à l’avantage des pays qui, les premiers, auraient “découvert” certaines vastes zones de ce continent.

Léopold II va tenir à se tailler une place importante dans le partage futur. Il va soutenir activement les expéditions de Henry Stanley dans les territoires congolais et, lors du Congrès de Berlin {La conférence de Berlin, qui s’est tenue de novembre 1884 à février 1885, fut organisée par le chancelier Bismarck afin d’établir les règles qui devaient présider à la colonisation de l’Afrique.} (1884/85), il va parvenir à faire reconnaître sa sphère d’influence sur le Congo.

A l’origine, le gouvernement belge et le parlement n’avaient rien à voir dans cette affaire et c’est sans grand enthousiasme que le Parlement l’autorisa à devenir chef d’État du Congo.

Le Congo, appelé “État indépendant du Congoest donc, au départ, la “colonie privée” du monarque, sur laquelle il va exercer sa souveraineté absolue de 1884 à 1908 (sans, toutefois, jamais y être allé), en en disposant comme d’un bien privé.

Il va y mettre en œuvre l’exploitation intensive des ressources, dont la récolte du caoutchouc, produit très demandé à l’époque, et va promouvoir la construction de voies de chemin de fer sans lesquelles (en particulier là où le fleuve n’est pas navigable) le Congo ne peut pas être rentable. Or, la rentabilité de la colonie était un objectif essentiel aux yeux de Léopold II.

Faute de chemin de fer, l’accès à la côte pour les produits coloniaux vendables (spécialement le latex naturel et l’ivoire) exigent la mobilisation forcée de porteurs indigènes (avec ce que le procédé impose comme calvaire aux Africains et comme lenteur dans le transport). La ligne de chemin de fer va être ouverte, en 1898, après neuf ans de travaux. Sa construction à coûté de nombreuses vies humaines parmi les manœuvres africains mais aussi parmi les cadres et contremaîtres blancs {Ce qui précède est extrait de Mabille (X), Histoire politique de la Belgique, éd CRISP, 2000, p. 276-278}.

Le Congo est un terrain d’appel pour les grands groupes financiers belges, opérant souvent seuls mais parfois aussi avec des associés étrangers. Avec le temps, de très grandes entreprises vont se créer pour l’exploitation des métaux non ferreux (l’Union minière du Haut-Katanga), des diamants, des huiles, … Le système des concessions va prendre une très grande extension: s’y mêlent financièrement les intérêts de Léopold II (puis ceux de la colonie belge) et ceux des grandes sociétés industrielles {Mabille (X), Histoire politique de la Belgique, éd CRISP, 2000, p. 281}.

Au début des années 1900, une campagne internationale va être menée par les Britanniques qui faisait état de mauvais traitements de la population indigène, dont le travail forcé (dans l’industrie du caoutchouc). Une commission d’enquête internationale composée d’un Belge, d’un Italien et d’un Suisse va être instaurée et va rendre son rapport en 1905. Elle y dénoncera les abus commis, ainsi que leur gravité. Les populations vivant dans les régions caoutchoutières étaient astreintes à un travail forcé intensif, souvent inhumain {Ce qui suit est principalement extrait de Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, p.105-108 et 194-229}.

Ces abus avaient principalement pour origine le système mis en place. La récolte de caoutchouc se faisait par les indigènes qui se la voyaient imposée au titre de “l’impôt en travail“. Des agents de l’État étaient chargés de veiller à ce que le travail se fasse. L’instruction envoyée aux agents était: Il faut pousser la “production” au maximum. C’était la préoccupation majeure de l’État indépendant du Congo et c’était d’après le niveau de production que les agents de l’État indépendant du Congo étaient jugés et payés (ils touchaient des primes proportionnelles aux quantités récoltées). Aucune réglementation du travail obligatoire des indigènes n’existait (il faudra attendre 1903 pour que la durée de celui-ci soit progressivement réglementée).

Pour obtenir les prestation requises, les agents disposaient de toute une gamme de contrainte et de répression. Ils pouvaient faire surveiller les villages par des soldats détachés sur place (les sentinelles), ils pouvaient infliger des peines de fouet (la chicotte), ils pouvaient prendre des otages. Lorsqu’un village se montrait récalcitrant, ils pouvaient requérir la force armée pour mener contre lui une expédition punitive.

Les excès étaient tolérés par l’administration. Presque aucun contrôle n’était exercé sur la manière arbitraire dont les chefs de poste appliquaient en général les règlements de discipline.

Les abus se commettaient non seulement dans les régions administrées directement par l’État indépendant du Congo, mais encore, et avec une fréquence peut-être plus grande, dans le domaine des diverses sociétés concessionnaires (sociétés qui avaient à la fois le droit de récolter les produits de la concession et celui de percevoir l’impôt, c’est à dire, en pratique, le droit d’exiger à leur profit le travail des indigènes), bien que les agents de ces sociétés ne possédaient nullement le droit d’infliger aux travailleurs des châtiments corporels.

C’est dans un tel contexte que des soulèvements de populations vont avoir lieu, entre 1903 et 1910. Parmi elles, les Boa et les Budja qui subissaient particulièrement durement le système de livraisons forcées d’ivoire et de caoutchouc. Les communautés plus petites et plus dispersées de la zone forestière qui n’avaient, elles, aucune chance de pouvoir résister par les armes optaient pour la fuite dans la forêt profonde, loin des postes blancs et des routes {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p. 143-144}.

Ce tableau fort sombre ne doit cependant pas être appliqué en bloc au Congo de Léopold II. Il se rapporte, en effet, essentiellement aux zones riches en caoutchouc (c’est à dire principalement la cuvette congolaise) et se concentre sur la période 1891-1906.

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Suite, principalement, à la virulence croissante de la campagne anti-congolaise au niveau international (l’émotion, partie d’Angleterre va gagner les États-Unis et l’on va presser la Belgique d’intervenir) et à la prise de conscience par l’opinion publique belge de la gravité de la situation au Congo (suite au rapport de la Commission d’Enquête internationale), l’État Indépendant du Congo va être annexé par la Belgique le 15 novembre 1908.

L’annexion va se faire dans une atmosphère lourde sans susciter aucun enthousiasme (les socialistes et les libéraux progressistes étaient adversaires du “colonialisme” en tant que tel et leur hostilité au régime instauré par Léopold II se doublait d’une hostilité tout aussi vive à l’idée d’un Congo belge {Tous les socialistes présents, ainsi qu’une majorité de libéraux, votèrent « non » à la reprise du Congo lors du vote à la Chambre des Représentants.}). La Belgique était consciente des graves responsabilités qu’elle assumait. On attendait d’elle une politique nouvelle rompant avec le passé. Cette politique fut sans éclat mais ferme.

Très vite, les différents traits spécifiques qui avaient caractérisé l’État indépendant vont disparaître. Le travail forcé est supprimé. A l’absolutisme royal (pour rappel, le Congo était la propriété privée de Léopold II), se substitue le régime de la monarchie constitutionnelle. Le Roi, au Congo comme en Belgique, sera politiquement irresponsable, ses actes n’auront de valeur que pour autant qu’ils soient contresignés par un ministre qui, seul, en portera la responsabilité. Le responsable de la politique coloniale sera désormais le ministre des Colonies. C’est là (et donc à Bruxelles) que le pouvoir va être concentré (pour l’essentiel jusqu’à la fin du régime colonial belge).

L’objectif poursuivi (durant près d’un demi-siècle) est de réaliser “une œuvre nationale de civilisation et de mise en valeur”. Ceci implique que le gouvernement du “Congo belge” est du ressort exclusif de la Belgique qui entend en faire une terre aussi belge que possible. Les missions (catholiques) belges d’évangélisation vont être nettement favorisées (par rapport aux missions étrangères). Elles seules, par exemple, vont toucher des subsides pour l’enseignement. En matière économique, la logique est la même: il faut que le développement du Congo demeure essentiellement entre les mains de Belges.

De manière générale, la Belgique ne va jamais favoriser un établissement massif de ses nationaux au Congo. Elle veut que l’immigration au Congo demeure une immigration “de qualité”, de manière à éviter que ne se pose un jour le problème des “Blancs pauvres” entraînant des tensions raciales.

Vie économique {Sauf mention contraire, ce qui suit est extrait principalement de: Mabille (X), Histoire politique de la Belgique, éd CRISP, 2000, p. 168-169}

L’industrialisation se poursuit. Elle concerne toujours plus d’activités.Autour de 1880, pour la première fois, le nombre de personnes occupées dans l’industrie va dépasser le nombre de personnes occupées dans l’agriculture.

A partir de la fin des années 1870, le secteur agricole va connaître une crise profonde qui va atteindre son apogée entre 1885 et 1895. Certains produits agricoles vont connaître des baisses de prix allant jusqu’à 40%. La situation sociale des petits paysans et ouvriers agricoles (essentiellement flamands -la Flandre étant essentiellement agricole-) est plus que misérable. Pour pourvoir de façon minimale à leur subsistance et payer le prix des fermages, ils mènent une vie de travail ininterrompu. De nombreux agriculteurs flamands vont s’expatrier vers la Wallonie et la France (plus de 200.000 entre 1890 et 1910) {WITTE (E), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, 1987, p.128-129} et, dans une moindre mesure, vers des destinations plus lointaines comme les États-Unis.

Le dépeuplement des zones agricoles va se poursuivre donc. Les centres industrialisés vont absorber ce “prolétariat agricole” déraciné. Les agglomérations urbanisées vont voir leur population croître en moyenne de 50 à 100%. Les concentrations les plus élevées se rencontrent en Wallonie: à Liège et dans la Province du Hainaut (le Bassin de Charleroi et la région du Centre) {WITTE (E), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, 1987, p.56}.

En Flandre, par contre, on ne trouve pas de grandes concentrations industrielles sauf dans quelques villes textiles (secteur économique le plus mal payé) comme Gand et Alost. Par ailleurs, la conscience sociale (de classe) y est nettement inférieure, les nombreux paysans déracinés ne s’étant pas encore libérés des structures sociales et autoritaires du village dominé par le baron et le curé {WITTE (E), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, p.106}.

Idée de film: “Daens” de Stijn Coninx

Daens

Voir le film:

Ce film Daens est une évocation extraordinaire de la terrible condition ouvrière à la fin du 19e siècle et de la lutte en faveur de cette classe par le père Adolf Daens, dans la ville d’Alost, où l’industrie connaissait un essor foudroyant.

C’est au cours de cette période qu’est franchi le stade de l’utilisation industrielle de l’électricité. La dynamo industrielle (machine à courant continu) est inventée en 1869 par le Belge Zénobe Gramme. De grands progrès vont avoir lieu dans le domaine des télécommunications et dans les industries, comme la découverte du procédé de fabrication de la soude (mélange de chlorure de sodium, de calcaire et d’ammoniac), en 1861, par le chimiste belge Ernest Solvay et le début de la fabrication des textiles synthétiques. L’exploitation de ces innovations sera souvent le fait d’industriels qui seront les fondateurs de nouveaux groupes d’entreprises: Solvay dans la chimie (il a des succursales et filiales dans toute l’Europe, jusqu’en Russie et en Amérique du Nord), Empain dans la construction électrique (il va construire le métro de Paris et des lignes de tramways en Égypte et en Chine). L’entreprise métallurgique Cockerill va s’étendre aux environs de 1895 jusqu’en Russie centrale et en Chine.

Idée de visite: Les quatre ascenseurs hydrauliques pour bateaux du canal du Centre

Les quatre ascenseurs hydrauliques pour bateaux du Canal du Centre {icon map-maker Rue Tout-Y-Faut‎ à 7110 La Louvière –icon phone 32 (0)78/059 059 – icon website canalducentre.be} constituent un exemple remarquablement préservé et complet. Des huit ascenseurs hydrauliques à bateaux édifiés à travers le monde à cette époque et au début du 20e siècle, seuls les quatre ascenseurs du Canal du Centre fonctionnent encore complètement avec les techniques du 19e siècle.

ascenseurs hydrauliques

Datant de 1887 et classés au Patrimoine mondial par l’UNESCO, ils fonctionnent grâce à la seule force hydraulique (énergie de l’eau) qui permet à des péniches de 300 tonnes de franchir une dénivellation de plus de 66 mètres (chaque ascenseur rachetant une dénivellation de quelque 16 mètres).

Une balade guidée en bateau avec le passage d’un ou plusieurs de ces ascenseurs permet de mieux se rendre compte de la prouesse technique que cela représente.

Toutefois, parallèlement au renforcement de l’équipement industriel, et même l’accroissement de certaines productions, la Belgique va connaître entre 1873 et 1895 une longue dépression économique (les années 1884-86 seront parmi les plus dures). Les prix, les profits et les salaires vont baisser ou stagner, l’activité va devenir irrégulière et le chômage augmenter. Ces conditions vont déterminer l’importance que va prendre le problème social.

L’abondance de personnel non qualifié va entraîner une concurrence très forte entre ouvriers et, à chaque baisse de la demande, des crises catastrophiques. L’ouvrier d’industrie est soumis au rythme de travail et à la répartition du travail dictés par la machine. Socialement, en outre, il fait partie d’une classe totalement isolée, entièrement coupée du reste de la société qui évite d’ailleurs tout contact physique avec lui. La Belgique est considérée comme un pays à très bas niveau de salaire où les journées de travail sont particulièrement longues (de 12h à 14h par jour en moyenne). Le travail des femmes et des enfants va s’accroître sans cesse. Ils sont mis au travail dans les puits de mine pour des salaires qui se montent en moyenne au tiers d’un salaire normal, ce qui favorise la tendance à la baisse générale du niveau salarial (déjà fort bas). Mais ce travail des femmes et des enfants forme un complément absolument indispensable au budget familial pour échapper à la faim et à la misère. L’immense majorité d’entre eux vit entassée dans des quartiers misérables surpeuplés, logée dans des habitations insalubres, de très petite taille (la moitié des familles ne disposaient que d’une seule chambre), et sans équipements hygiéniques (même élémentaires). L’espérance de vie est faible (45 ans environ).

La situation de ceux qui travaillent à domicile est pire encore. Ils travaillent encore plus longtemps et pour des salaires inférieurs. On les rencontre dans toutes sorte de secteurs (la confection, la peausserie {commerce, industrie et métier des cuirs et peaux.}, les ateliers de dentelle). La grande majorité d’entre eux travaillent dans des villes et petites communes de Flandre.

On peut dire sans exagérer que le niveau de vie, en cette phase de la révolution industrielle (1850-1884), a atteint le point le plus bas qu’il ait jamais connu au cours des siècles précédents {WITTE (E), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, p.58-59}.

interieur ouvrier

Vie politique {Pour l’essentiel extrait de Mabille (X), Histoire politique de la Belgique, éd CRISP, 2000, p.177-197}

La “guerre scolaire” (1879-1884) {WITTE (E), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, p.89-91 et Mabille (X), Histoire politique de la Belgique, éd CRISP, 2000, p.151-152}

Cette période est notamment marquée par la première “guerre scolaire” qui va opposer les défenseurs de l’enseignement officiel aux défenseurs de l’enseignement catholique, pendant toute la législature où les libéraux seront au pouvoir. Celle-ci va débuter suite aux mesures décidées par le gouvernement libéral Frère-Orban afin que l’enseignement communal cesse d’être, en pratique, entièrement sous la coupe de l’Eglise, comme c’était le cas dans les campagnes et les petites villes.

La loi Van Humbeek (1879) que les catholiques appelleront la “loi du malheur” organise l’obligation pour chaque commune d’avoir une école primaire officielle, laïque et neutre (avec interdiction “d’adopter” une école libre), l’enseignement obligatoire de la morale et facultatif de la religion, l’octroi des diplômes d’instituteurs par les seules écoles normales de l’État.

La loi de 1881 sur l’enseignement secondaire va être une extension de celle de 1879 et va créer 12 athénées royaux et 102 écoles moyennes (56 pour garçons et 46 pour filles).

Avant même leur adoption, ces dispositions vont susciter l’hostilité de l’Église et de l’opinion catholique qui avait pris connaissance (avec un vif émoi) du discours du roi (du 12/11/1878) affirmant “l’enseignement donné aux frais de l’État doit être placé sous la direction et sous la surveillance exclusive de l’autorité civile.“. Les évêques vont dénoncer l’école neutre, vue comme nécessairement “anti-religieuse” et comme susceptible, en cas de succès, de précipiter “le courant socialiste qui s’annonce pour engloutir l’ordre et la propriété”. Et de conclure par la prière: “Des écoles sans Dieu et des maîtres sans foi, délivrez-nous Seigneur”.

Après le vote de la loi, l’hostilité de l’Église va continuer. Elle va défendre aux catholiques, sous peine de refus des sacrements, de placer leurs enfants dans une école officielle ou d’y enseigner (sauf en cas de force majeure à apprécier par l’autorité épiscopale). En même temps, les évêques vont annoncer que, dans chaque paroisse, l’établissement d’une école catholique préservera les enfants “de la souillure des écoles officielles“. En 1880, la hiérarchie de l’Église va refuser de participer officiellement aux fêtes du 50è anniversaire de l’indépendance de la Belgique et les relations diplomatiques entre la Belgique et le Vatican vont être rompues.

Cette “guerre scolaire” va se terminer à l’avantage de l’Église, en 1884 (année de la victoire électorale des catholique sur les libéraux), l’enseignement catholique accueillant plus de 80% de l’ensemble de la population scolaire. Par ailleurs, plus que jamais, le rôle politique dirigeant de l’Église va s’imposer à tous les croyants. L’Église catholique belge n’était pas disposée à se voir privée d’une autorité séculaire.

Le fossé entre la Belgique cléricale et la Belgique non cléricale va être énorme.

La naissance du Parti Ouvrier Belge (1885)

En 1885 naît le Parti Ouvrier Belge (POB). Sa création complète le système des partis. Aux deux partis bourgeois de formation plus ancienne, s’oppose désormais un parti ouvrier. Il s’agit aussi d’un parti anti-clérical (comme le parti libéral).

En partie du fait de l’apparition du POB (mais aussi du fait de l’évolution de la société et de l’Église ainsi que du droit de vote), le Parti catholique va, quant à lui, être amené à évoluer et devenir “interclassiste”. Cependant, jusqu’en 1905, les ouvriers catholiques ne vont pas avoir le droit de prendre des positions autonomes au sein du parti catholique, largement conservateur et bourgeois. Par ailleurs, les organisations ouvrières chrétiennes vont naître “anti-socialistes” comme les organisations socialistes sont nées anti-cléricales {WITTE (E), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, p.115}.

De manière générale, le parti catholique ne va guère parvenir à reconquérir véritablement les ouvriers d’usine de l’industrie lourde en Wallonie, ni ceux du secteur textile. Les institutions chrétiennes vont compter l’essentiel de leurs affiliés au sein du prolétariat flamand et du monde des artisans {WITTE (E), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, p.115}.

La lutte pour les droits économiques et sociaux

Les centres industriels wallons vont vivre en 1886 des événements sociaux d’une gravité sans précédent dans l’histoire de Belgique. Jamais les conflits ne furent aussi durs et aussi étendus. Ces émeutes ouvrières vont connaître une répression -avec intervention de l’armée- d’une dureté elle aussi sans précédent (des dizaines de morts). Les arrestations seront nombreuses et les condamnations de centaines d’ouvriers furent généralement sévères quoique de façon très inégales selon les lieux. Outre cette répression, ils vont cependant provoquer également une certaine prise de conscience du problème social.

Suite à ces événements, mais aussi à la volonté d’entraver les progrès du parti ouvrier, des réformes vont être progressivement décidées. La période de promulgation de lois de protection ouvrière s’ouvre vers 1896. Les lois se succèdent à un rythme rapide et portent tant sur les rémunérations que sur les conditions de travail. Parmi celles-ci: l’interdiction du travail industriel aux enfants de moins de 12 ans, la limitation à 12 heures de la journée de travail et l’interdiction du travail de nuit pour les garçons de 12 à 16 ans et les filles de 12 à 21 ans, l’interdiction du travail souterrain de mine aux femmes de moins de 21 ans (1889), la loi sur le contrat de travail (1900), la réparation des accidents de travail (1903), le repos du dimanche dans les entreprises industrielles et commerciales (1905), l’interdiction du travail de nuit des femmes (1911), l’interdiction du travail des enfants de moins de 14 ans (1914).

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Le principe de la “liberté subsidiée” est caractéristique de la politique sociale en Belgique à la veille de la Première guerre mondiale. Il admet que l’Etat peut dépasser son rôle de création des cadres juridiques et institutionnels et engager une part des ressources publiques à soutenir les efforts privés de prévoyance. Mais seule une partie de la population bénéficie de ce principe, celle qui a la préoccupation mais surtout les moyens de faire un effort de prévoyance. C’est le principe des “assurances libres” {par opposition au principe de la sécurité sociale (assurance obligatoire) que l’on va instaurer en Belgique à partir de 1944.}.

La lutte pour le droit de vote

Cette période va être marquée par la question de l’extension du droit de vote. Les socialistes et les libéraux progressistes défendent le suffrage universel. Suite à l’enlisement ou au rejet (selon les cas) de différentes propositions en la matière, le POB va lancer, en avril 1893, un appel à la grève générale. Il s’agit de la première grève à caractère politique. La première phase de la grève va s’achever de façon dramatique: une femme tuée par la gendarmerie dans la Région du Centre, six morts à Mons après une fusillade de la garde civique, cinq morts à Borgerhout. Simultanément, la situation va se dénouer sur le plan politique avec l’adoption du suffrage universel (masculin) tempéré par le vote plural (le 18/4/1893). L’article 47 révisé de la Constitution va accorder, en effet, le droit de vote à tous les hommes de nationalité belge, âgés de 25 ans et domiciliés depuis un an au moins dans une même commune. Toutefois, certains électeurs disposent d’une ou deux voix supplémentaires (= vote plural). Ainsi, un vote supplémentaire est accordé aux pères de famille, âgés de 35 ans et occupant une habitation pour laquelle ils payent un minimum d’impôts et aux propriétaires de biens (immeubles ou rentes) d’une certaine valeur. Deux votes supplémentaires sont accordés aux capacitaires, porteurs d’un diplôme d’enseignement supérieur ou de fin de l’enseignement secondaire. Un seul électeur ne peut toutefois cumuler plus de 3 voix. Avec ce changement, le nombre total d’électeurs passe de 136.775 à 1.370.687 et le vote est rendu obligatoire (ce qui réduisit fortement l’absentéisme). Avec ce système de vote plural, 850.000 électeurs ne disposant que d’une seule voix vont se retrouver face à 520.687 électeurs disposant, eux, de 2 ou 3 voix (soit 1.240.000 voix pour les bourgeois aisés et cultivés).

L’adoption du suffrage universel tempéré par le vote plural ne va pas signifier, pour autant, la fin de la lutte pour le suffrage universel pur et simple… pour les hommes du moins {En effet, les voix qui s’élevaient en faveur de l’égalité politique de la femme étaient fort peu nombreuses. Au départ, le POB revendiqua également le droit de vote pour les femmes mais il abandonna cette revendication en 1902 notamment du fait que la majorité des ouvriers étaient très hostile à l’introduction immédiate du droit de vote des femmes craignant que cela ne prolonge la domination de l’Église.}. Dans les années qui vont suivre (1901-1902), différentes propositions de loi vont être déposées par des libéraux progressistes ou socialistes. Une grève générale va avoir lieu en 1902 (+/- 300.000 grévistes). L’action répressive de la garde civique fera plusieurs morts et blessés. Mais le gouvernement ne cédera pas.

Par ailleurs, avec l’introduction du suffrage universel plural, le système de scrutin majoritaire {Système d´attribution des sièges qui favorise les candidats ou les listes qui ont obtenu le plus de voix et qui dégage ainsi des majorités fortes. vocabulairepolitique.be} qui était la règle depuis l’indépendance va être sévèrement critiqué (car créant des situations de ballotage nécessitant l’organisation de second tour, ou désavantageant trop nettement le parti libéral). Dès lors, après de longs débats, une loi va être votée le 29 décembre 1899 afin d’introduire le principe de la représentation proportionnelle {Elle vise à attribuer les sièges proportionnellement au nombre de voix recueillies par chaque liste de candidats. Voir: vocabulairepolitique.be} et mettre fin, donc, au scrutin majoritaire . Le scrutin proportionnel sera appliqué pour la première fois lors des élections législatives du 27 mai 1900.

Le mouvement flamand et le mouvement wallon

Des lois linguistiques

L’élaboration d’une législation linguistique, entamée avec l’introduction du néerlandais dans le droit pénal (1873), dans les administrations publiques en Flandre (1878) et comme langue d’enseignement de quelques disciplines de l’enseignement secondaire officiel (1883), va se poursuivre jusqu’à la veille de la Première guerre mondiale. Toutefois, l’application de la loi va rester généralement lettre morte. Les frustrations ne vont donc pas disparaître et le mouvement flamand va se montrer de plus en plus combatif.

Parmi les lois qui vont être votées, une en particulier marque un moment important. Il s’agit de la loi dite “d’Egalité” (1898) qui établit le principe de l’équivalence sur le plan juridique des textes (lois et arrêtés royaux) en néerlandais et français. Le néerlandais est admis comme la deuxième langue officielle de la Belgique.

Le mouvement wallon

Alors que le mouvement flamand est né pratiquement en même temps que l’État belge, le mouvement wallon va, lui, naître aux environs de 1890 (date du 1er congrès wallon), en réaction contre ce qui est perçu alors, par certains, comme une mainmise ou un risque de mainmise flamande sur l’État belge.

En effet, instaurer le bilinguisme dans la fonction publique (qui comptait de très nombreux fonctionnaires et employés wallons y compris en Flandre et à Bruxelles) revenait à instaurer un monopole au bénéfice des flamands, les seuls à être bilingues. En outre, au fur et à mesure qu’il va apparaître clairement que c’est la Flandre cléricale qui maintient en selle le gouvernement catholique alors que le verdict des urnes est tout différent dans la Wallonie de gauche, “l’anti-flamingantisme” va s’accroître dans les rangs des libéraux wallons ainsi que de certains socialistes. Ce mouvement wallon va s’opposer au bilinguisme et à la connaissance obligatoire du néerlandais, en ce qui concerne du moins la partie wallonne du pays {WITTE (E), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, p.140-141}. Mais, dès lors qu’il s’agit de la Flandre et de Bruxelles, il va défendre, par contre, la place du français.

nota bene NB; tout comme ce fut le cas du mouvement flamand, à sa naissance, le mouvement wallon est bien loin d’être représentatif de toute l’opinion wallonne et est loin d’être uni sur des objectifs précis.

En bref: Le droit électoral censitaire et la position dominante du français vont pendant plus de 50 ans fonder le régime politique de la Belgique sur des mécanismes d’exclusion, la majorité de la population se trouvant, pour l’une ou l’autre raison, maintenue à l’écart de la participation à la vie publique. Les premières lois linguistiques et surtout l’extension du droit de vote vont fonder désormais le régime sur des mécanismes d’intégration. Les dirigeants et représentants du mouvement flamand et du mouvement ouvrier vont accéder aux institutions et parfois même aux instances de décision {Mabille (X), Histoire politique de la Belgique, éd CRISP, 2000, p.210}.

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